• 13 et 14 avril 1915

    13 avril 1915

    « Paris 12/4/15

    Cher ami, m’écrit le général Gervois

    Je vous annonce mon arrivée à Paris, en bonne santé, aussi j’espère que vous en êtes de même. Et Charles comment va-t-il ? Je lui écris en même temps, espérons qu’il se remettra le plus tôt possible, afin que vous lui fassiez faire le tour du monde, pour faire des recherches après Jeannette (le farceur !). Dites-moi le résultat des cartes que vous lui avez envoyées. Je vous en dirai plus long à la prochaine lettre.

    Cordiale poignée de main de votre ami.

    P. Gervois, chez M. Duvivier, 23 rue Louis-Blanc.

    Paris 10e arrondissement »

    Puis le brave Darras que j’ai fait placer dans une des maisons hospitalières de l’œuvre des blessés convalescents, m’écrit :

    « Je vous écrit ces quelque mot pour vous faire savoir que nous somme ici jusqu’au 21 de se moi ; j’ai été 2 jours à Romorantin, puis je suis parti après pour Paris, il été tros tar quand je sui arriver chez monsieur Auber et j’ai obliger d’aller coucher une nuit a la croit rouge une journé, le lendemain je suis repartit et on m’a envoyez à 25 kilomètres de Paris que nous somme très bien. J’ai quitter Jervois à Paris et je l’ai plus vue ; Je n’ai plus rien à vous dire pour le moment. Voici mon adresse : Paul Darras en permission chez madame Rosenthal, vallée des Roses, Villennes-sur-Seine (Seine-et-Oise). »

    Encore un qui est heureux ; cela fait plaisir d’avoir pu procurer à ce brave garçon ces instants de bonheur.

    Charlot sur une carte représentant « la place de Chitenay » m’écrit :

    « Violente poignée de main. À bientôt. Vive la fuite. Charles. »

    Il est heureux !...

    Aujourd’hui – 13 avril – je vais (aller et retour) à bicyclette – par un temps froid et un vent terrible à la ferme de la Proutière[1] – sur la commune de Nouan-sur-Loire. Au total : 42 Kilomètres, par la route ordinaire, Saint-Dyé et Muides.

     

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    Nouan-sur-Loire.- Route d’Orléans.- 6 Fi 162/4. AD41

     

    14 avril

    C’est – enfin ! le jour de la fuite.

    Charles, Gallon et Nizon arrivent - en auto – vers 3 heures. Mais ils ne peuvent que descendre et monter, car l’auto les attend. Et moi qui avais préparé un goûter. Enfin ils boivent un coup, mangent un morceau de galette. Et en route ! Ils sont heureux !

    Je grimpe à l’ambulance voir Charlot. On lui fait fête et on le complimente sur sa bonne mine.

    Ensemble nous partons pour la gare, ainsi que Nizon et Pilon, le chef-infirmier. À la gare nous trouvons Pierre Gallon, puis Boucher (de la salle 3), puis Teyssère. Ensemble, à la gare, nous goûtons, au milieu de la joie.

    Le train s’approche, nous nous dirigeons vers les wagons ; nos joyeux soldats s’y engouffrent. « À bientôt le retour ! » Ils appréhendent de ne pas avoir de congé. Mais, moi, je dis à Charles et à Pierre qu’ils auront un mois. « Oh ! Si c’était vrai ! Quelle veine !! » Le train siffle, il s’ébranle et part.

    « En route pour Romorantin ! » - « Au revoir M. Paul ! au revoir !! à bientôt ! »

    Le train disparaît. Charlot est parti pour le dépôt de convalescence ; il laisse derrière lui un bon sillage d’amitié.

    Je reçois une carte de Nevers, de Paul Robert :

    « Mon bien cher Paul ; je viens t’écrire quelques mots pour te dire que j’ai le bonheur de posséder mon papa et mon frère Jean. Tu juges de ma joie quand jeudi- après-midi – j’ai vu arriver mon cher papa. Et la providence qui permet tant de choses a fait qu’aujourd’hui mon frère Jean a pu obtenir une permission et que nous voilà tous les trois réunis, malheureusement ce ne sera pas pour bien longtemps car mon papa s’en va demain et Jean ce soir, mais quand même je m’estime très heureux de toute la joie que j’éprouve en ce moment. Papa, à son grand regret, ne pourra pousser jusqu’à Blois, car son temps est limité, et comme il a encore à faire à Paris, il est obligé de repartir plus tôt. C’est comme ton petit frère, mon cher Paul, ne pourra aller te voir ; je me suis bien renseigné, mais comme je suis ici en fraude, puisque Nevers est consigné, il faut donc que je me tienne tranquille à mon grand regret ; tu sais, comme toi, j’espère que ce n’est que partie remise et que Dieu nous accordera le bonheur de nous revoir. Je laisse une petite place à mon papa. Veux-tu transmettre à ta bonne maman mon respectueux souvenir et reçois, bien cher ami, une cordiale poignée de main de ton petit ami. P. Robert. »

    Sur la même carte M. Henri Robert, père, avait écrit :

    « Mon cher ami. Je suis très heureux de me joindre à Paul pour vous adresser un souvenir bien affectueux, vous pensez quelle joie j’ai eu de retrouver mes fils, après de si rudes épreuves et à la veille d’une nouvelle séparation. Paul m’a renouvelé le bonheur qu’il avait éprouvé près de vous. Veuillez, mon cher ami, en accepter encore le témoignage de ma plus sincère gratitude, en vous donnant rendez-vous dans notre Lorraine et dans notre Alsace redevenues françaises. Je vous adresse mon respectueux souvenir. Henri Robert. »

    Ce tantôt Charlot m’a donné une lettre qu’il a reçue de l’administration de l’assistance publique.

    « Mon cher pupille.

    Nous avons appris votre brillante conduite au milieu de cette phalange de héros qui se sont illustrés sur l’Yser et dont vous faisiez partie. Si nous compatissons aux fatigues et aux épreuves que vous avez subies, nous sommes fiers de vous et c’est, avec joie, que je vous adresse, au nom de l’administration ce petit mandat et que je vous serre la main.

    Votre supérieur de Paris

    Signé : Paul Bastide

    3, avenue Victoire, Paris. »

    [1] M. Fandeux, notaire honoraire, propriétaire