• 16 août 1914

    16 août – 15e jour de la mobilisation

     

    Après la messe de 9 heures à Saint-Vincent, Robert et moi, nous allons à la préfecture, voir les dépêches officielles. C’est le pèlerinage quotidien des Blésois de Blois et des environs. On y va le cœur gonflé d’espérance, on dévore les dépêches, on les relit, ensuite on reste sur place et on commente les moindres faits qui nous sont annoncés. Souvent les dépêches ne disent pas grand chose, alors c’est de l’anxiété, on veut savoir quand même, l’imagination va à son aise et fait le reste. Le gouvernement est prudent – trop prudent même – et lorsque les dépêches sont courtes ou qu’elles donnent des détails évasifs ou « calmants », il n’y a pas à se tromper : le gouvernement en sait plus long qu’il ne veut en dire, et les nouvelles sont mauvaises. Entre le devoir de tenir le peuple de France au courant, et la crainte de lui épargner des nouvelles capables de l’affoler, le gouvernement – cela se voit – semble très embarrassé. Cela lui suscite souvent des dépêches incompréhensibles. Des malins sont arrivés à très bien lire « entre les lignes » de ces dépêches et à prévoir « ce qui est arrivé » et – cependant - n’est pas annoncé officiellement. De ces malins – sans me vanter – j’en suis ; je ne m’y trompe pas.

    Les dépêches lues, c’est l’heure de la méditation qui suit. Méditation patriotique et toute enflammée du souffle français. Nous sommes en retraite : retraite française où toutes les heures, toutes les minutes sont imprégnées de l’onction sainte de la patrie.

    Après-midi nous allons par la gare, où nous voyons passer des trains militaires, tous décorés. Il pleut. Nous passons par la rue de la Butte ; la pluie cesse. Nous continuons et longeons cette belle route qui - sur la crête du coteau - surplombe la vallée de la Loire. En voyant cette belle nature de France, il est impossible de penser que nous sommes en guerre.

    À « La Terrasse » chez Mme Eymieu [Rue de la Butte], est installé un poste de garde-voies.

    Après le « Chapitre » nous prenons le pittoresque chemin appelé « la Rote aux ânes ». Quel calme et merveilleux panorama ! La Loire, aux pieds, coule, calme et paresseuse ; au-delà le val de Bas-Rivière et de Chailles, puis la forêt verdoyante et touffue, St-Gervais dont le clocher pointe vers le ciel, Vienne aux maisons éparpillées autour du campanile de son église, le pont sur la Loire, Blois et les masses de son château, les flèches de St-Nicolas, la tour de sa cathédrale et les frondaisons de la terrasse de l’évêché ; de l’autre côté Chailles et son église qui émerge de la verdure, le château des Brosses, les fonds des Montils et de Candé, la boucle de la Loire ; auprès, tout près, la grande ligne de Bordeaux ! Justement voici un train qui passe ; un train militaire bien entendu, ce sont des artilleurs et les canons sont tous décorés.

     

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    Chailles.- Les Brosses.- 6 Fi 32/10. AD41

     

    Nous revenons par les quais – il pleut à nouveau – remontons par la gare – un autre train militaire passe – et assistons à Saint Vincent aux prières et au salut qui - chaque soir - sont faites et est donné - à 6 heures - pour l’armée.

    Dans les rues, à cette heure, il y a foule de soldats et l’ensemble est « tout bleu ».